3. Le tournant de la Renaissance

La Renaissance, en retrouvant les textes des Anciens, a sorti le sport de l'indétermination dans laquelle il demeurait plongé au Moyen Âge : des sports médiévaux sont codifiés et connaissent un succès étonnant, comme la paume et la lutte. La seule référence à l'Antiquité suffit à remettre en honneur l'idéal de l'équilibre entre les soins du corps et de l'âme.

3.1 Évolution et codification des pratique sportives médiévales

3.1.1. Diffusion des jeux

On observe une diffusion des jeux médiévaux dans l'espace. Mais en se diffusant ces jeux traditionnels se modifiaient et recevaient une signification et une fonction différente de celle qu'ils avaient à l'origine. Par exemple, le jeu de cache (ancêtre du jeu de paume), né en Picardie, aurait migré en Hollande, en Angleterre, en Allemagne et en Espagne pour passer à partir de ce dernier pays en Amérique du Sud. (H. Gillmeister, «The migration of the Picardian Game of cache», dans Stadion, n°7, 1981, p. 19-51).


L'usage de la crosse tel qu'il a évolué au XVIIe siècle

3.1.2. L'Angleterre à l'heure française

Á côté de la paume, la France de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance pratiquait toujours avec passion les exercices physiques. En 1598, l'Anglais Dallington décrivait la France comme un pays pratiquant les exercices physiques d'une façon very immoderate. Il reprochait aux français d'avoir corrompu les Anglais qui les imitaient en tout, en particulier dans leur passion pour les exercices violents...


La pile trigone
  • La choule, très prisée, n'avait pas bonne réputation à la cour d'Angleterre : Jacques Ier d'ailleurs, dans le traité qu'il écrivit à l'attention de son fils, lui recommandait chaleureusement la course, le saut, la lutte, l'équitation, la paume, l'escrime mais exclut le football où «l'on a plus de chance de s'estropier que de se fortifier». Le déchaînement de la violence avait déjà entraîné au XIVe siècle une période de prohibition aussi bien en France qu'en Angleterre. Pendant plus d'un siècle, le pouvoir public s'opposera au jeu de la choule. Écoutons comment le théoricien anglais Stubbs, dans l'Anatomie des abus (1583), s'élève contre ce sport trop violent à son goût :
«...L'un des passe-temps diaboliques usités même le dimanche, jeu sanguinaire et meurtrier plutôt que sport amical. Ne cherche-t-on pas à écraser le nez de son adversaire contre une pierre ? Ce ne sont que jambes rompues et yeux arrachés. Nul ne s'en tire sans blessure et celui qui en a causé le plus est le roi du jeu.»

Les rois, lutteurs de la Renaissance
  • La lutte est sans doute alors le sport le plus répandu. Là encore le modèle était français. Shakespeare, dans Comme il vous plaira, fait de ses héros des Français et met en scène un champion de lutte qui s'appelle Monsieur Charles. Les souverains eux-mêmes s'adonnaient à ce sport, comme François Ier et Henri VIII qui aimaient à montrer d'eux l'image de souverains sportifs, en bonne santé.(Les rois lutteurs de la Renaissance)
  • L'escrime et les duels se développèrent à la Renaissance. Les Italiens se battaient avec une épée et une dague. Puis sous le règne de Charles on se bat avec la seule épée. Le duel dégénèra et on s'y livrait à tout propos :

«c'est véritablement un sport et il ne faut pas plus de motif de haine que pour une partie de paume.»

(J.-J. Jusserand, op. cit., p. 360).

3.2 Cultiver son corps : le retour aux anciens

Plus généralement, on se préoccupe à la Renaissance de l'utilité des exercices physiques et des motifs que l'homme peut avoir de cultiver son corps : on revient à l'exemple des Anciens.(L'éducation de Gargantua)

En cette matière, l'ouvrage de l'italien Mercurialis, De arte gymnastica (1569), était un ouvrage de référence dans toute l'Europe. Cet humaniste avait longuement étudié les Anciens, les oeuvres d'Homère, de Pindare et de Plutarque ; réédité à Venise en 1573, son traité comportait d'étonnantes planches gravées, dûes à Cristoforo Coriolano, qui illustraient les différents «sports» auxquels l'homme devait se livrer pour atteindre à un harmonieux équilibre. Mercurialis qui s'était interdit d'écrire en langue vulgaire rédigea en latin un second traité, destiné à tous les lecteurs éclairés de la société occidentale. Le prestige de la Rome antique était alors tel qu'il suffisait alors d'alléguer son exemple. Mercurialis sut ainsi célébrer les mérites et les bienfaits du jeu en plein air en s'efforçant de démontrer que maintes maladies pouvaient être évitées ou guéries par le mouvement.


L'éducation de Gargantua

Les activités de l'honnête homme
Il influença probablement Montaigne et sa conception de l'éducation :

«Les jeux même et l'exercice seront une bonne partie de l'étude : la course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la bienséance extérieure, et l'entregent, et la disposition de la personne, se façonne quant à quant à l'âme (avec l'âme). Ce n'est pas une âme, ce n'est pas un corps qu'on dresse, c'est un homme ; il n'en faut pas faire à deux. Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l'un sans l'autre, mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés au même timon.» (Montaigne, Essais I, chap. XXVI, «De l'institution des enfants», Paris, Gallimard, 1965.)

Pourtant malgré cette complémentarité entre l'étude et le sport, parfaitement définie par les humanistes de la Renaissance, la France va peu à peu dédaigner ce qu'elle avait pratiqué avec tant de détermination. Ces préceptes tomberont progressivement dans l'oubli au XVIIe et au XVIIIe siècle, alors que le sport connaissait un développement foudroyant en Angleterre, puis en Allemagne, une sorte d'amollissement des âmes et des corps se généralisait , frappant d'abord les hautes classes : seule la chasse subsista. Voltaire expliquera qu'on intellectualisait les plaisirs au détriment de l'action.

Dans le même temps, en Angleterre, la pratique des sports suit une courbe ascendante : ils sont dotés de règles et, tout en concernant au premier chef la haute société, ils ne cessent d'appartenir au peuple.


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