4. Le «style» en France, naissance du sport moderne en Angleterre

Au XVIIe siècle, avec la monarchie absolue, le sport, comme toutes les activités de la société, est influencé et contrôlé par le sommet : le monarque absolu détient le sort du divertissement français entre ses mains et instaure une moins forte participation aux jeux et exercices physiques. Les lois qui avaient été instaurées contre les sports violents, comme les duels et qui n'étaient guère respectées, sont appliquées avec rigueur. (Violence et répression)

Au même moment, en Angleterre, le sport moderne voit le jour.


Violence et répression

4.1. La prédominence des jeux intellectuels en France

4.1.1. Le contrôle des jeux

Un désintérêt pour les exercices physiques


Le jeu de billard

Le style prime et les exercices physiques sont dévalorisés. L'abbé Fleury (1640-1723) précepteur du prince de Conti s'en inquiète et en examine les causes :

«Ce qui fait tant mépriser aujourd'hui les exercices est qu'ils ne servent ni à acquérir de l'honneur ni à gagner de l'argent»
(Traité du choix et de la méthode des études, 1675)

Les moralistes du temps rejetaient également les jeux et divertissements. Pour Pascal, le divertissement détourne l'homme de lui-même, comme l'indique l'étymologie du terme (divertere). Il distingue les divertissements (jeux, distractions...) du divertissement, terme générique, qui désigne toutes les activités qui occupent l'esprit et le corps, mais empêchent l'homme de songer à lui (le jeu, le travail...).

Mais ce «vide sportif» était meublé par d'autres activités : le XVIIe siècle est resté dans l'histoire le siècle des jeux de table et de hasard et d'esprit, que l'on compte par centaines :

«Á la Cour et à la ville, la bonne société du temps se livre avec délices à toutes sortes de jeux, au grand scandale des moralistes. Les jeux de cartes et surtout le billard passionnent les courtisans... La danse est donc hors de mode partout ? Chez nous, en France, dès qu'il y a une assemblée, on ne fait que jouer au lansquenet ; c'est le jeu ici le plus en vogue...»
Princesse Palatine, Lettre du 14 mai 1695.

Influence décisive du règne de Louis XIV

Les goûts du Roi Soleil ont sans doute joué aussi un rôle dans cette évolution. Son règne personnel s'étend de 1661 à 1715 et son influence fut considérable. Il servira de modèle incontestable à la noblesse et présidera directement à l'orientation des moeurs de la France de l'époque. (Le Roi Soleil, le spectacle de la cour)

Dans sa jeunesse, Louis XIV pratiqua la paume, mais en perdit rapidement l'intérêt et préféra, et avec lui la cour, le jeu de billard qui avait l'avantage de ne pas déranger l'ordonnancement de la perruque. La noblesse délaissa le jeu de paume et nombre de salles furent réutilisées à d'autres fins. En 1657 il y avait à Paris 114 jeux de paume, en 1780 il n'en reste plus que 10.


Le Roi Soleil, le spectacle de la cour

Le XVIIe siècle fut aussi un siècle meurtrier (guerre de trente ans, la fronde...) et, malgré l'amollissement des moeurs, la noblesse connaissait l'art de la guerre, l'équitation et le maniement du fleuret.

4.1.2. La chasse, l'équitation, l'escrime

La chasse

Au XVIIe l'un des exercices les plus prisés c'est la chasse et, pour la noblesse, la chasse à courre. «la chasse à courre était la plus noble, la plus dispendieuse, la plus inaccessible au vulgaire ; elle offrait quelques petits dangers, des occasions de chutes et de blessures : c'était par suite le meilleur desport de tous.»(Jusserand, op. cit.) Á l'aide de chiens, on traque le lièvre, le loup, le sanglier et le renard. La chasse à ce dernier animal est un des passe-temps favoris des Anglais.

Louis XIV chasse à courre ou se déplace avec un fusil «tout de même qu'un simple gentilhomme de campagne». Il chassera jusqu'à la fin de sa vie.

L'équitation


Le carroussel des Tuileries

Avec la chasse, l'équitation constitue un autre exercice très apprécié au XVIIe et au XVIIIe siècle. Mais il s'agit surtout d'une équitation savante qui permet les grands spectacles équestres, on recherche l'élégance. Le roi Soleil pratique. C'est l'époque des académies, en France comme à l'étranger.

L'Académie d'équitation créée en 1734 à Göttingen avait une grande notoriété en Europe. Elle est liée au nom d'un des plus grands écuyers du temps, J. H. Ayrer (1732-1817). Cette académie fut d'abord déplacée à Hanovre, puis remplacée par l'Institut militaire d'équitation, lequel contribua par la suite aux succès internationaux allemands encore au XXe siècle. Vienne était célèbre pour la formation des cavaliers.

En France Louis XIV crée le Manège de Versailles en 1680. Il y avait deux écuries. La grande accueillait les chevaux de guerre, de parade, de chasse et de manège. La petite, les chevaux d'équipage, les carosses, les voitures. Parmi les grands noms de l'équitation on connaît Antoine Pluvinel de La Baume (1555-1620) et François Robichon de La Guérinière (1688-1751).


Le grand carroussel

Les courses de chevaux montés ou attelés sont aussi très appréciées à cette époque. On parie des sommes importantes. «Nous trouvons ainsi des courses de chevaux à Achères en 1683 ; Louis XIV y assiste avec la reine, le dauphin et toute la cour ; il donne mille pistoles au gagnant.» Et Jusserand note que les courses que l'on connaît de nos jours avec jockeys au couleurs de leurs maîtres, des juges, une piste bien balisée, des handicaps, des paris, ces course à l'anglaise se sont acclimatées dans notre pays à cette époque.

L'escrime

L'art de l'escrime également se développe, on l'enseigne dans les salles d'armes. Les spécialistes écrivent des ouvrages de technique. On n'utilise plus que les armes académiques, c'est-à-dire le fleuret ou l'épée seule. Pour l'escrime comme pour l'équitation la tendance générale se situe dans la recherche de l'esthétique, les fameuses «bottes», connues aujourd'hui grâce aux romans d'Alexandre Dumas et aux films de «cape et d'épée».

4.2 Évolution de la pratique des jeux en Angleterre

Au XVIIIe siècle, le fossé s'est creusé entre la France et l'Angleterre, et la tendance de la Renaissance s'est inversée. Les voyageurs étrangers sont frappés par l'activité sportive qui règne outre-Manche : football, lutte, escrime, course et boxe.

4.2.1 Une première législation des sports populaires

En Angleterre, avec une augmentation de la couche sociale aisée due à différents phénomènes : l'industrialisation précoce, l'expansion coloniale, un commerce fleurissant, le goût des paris se développe fortement. Le pari est une occasion de lutte contre le temps, de recherche du record, l'élément fondamental du sport moderne. On parie sur l'issue de combats de boxe, ou sur le temps qu'il faudra au vainqueur pour l'emporter, sur les combats de lutteurs ou d'escrimeurs.

Mais un phénomène nouveau apparaît. La classe dominante s'intéresse aux jeux vulgaires et les réglemente. Des pairs d'Angleterre codifient les lois du cricket et prennent part aux mêlées du football. Des associations britanniques sportives seront fondées, en 1750 de courses de chevaux, en 1754 de golf, en 1788 de cricket.

Les premières pratiques sont donc les courses de chevaux qui prennent de l'importance et attirent la foule. En France, éprise de tout ce qui vient d'outre-Manche, la classe supérieure ne retiendra dans un premier temps que cette pratique.

4.2.2. L'Europe à l'heure des Lumières : les exercices physiques et l'hygiène

Au XVIIIe siècle le sport moderne naît en Angleterre et son idée apparaît en France avec celle des progrès. En réalité le sport en France restait encore le plus souvent réservé au vulgaire, par exemple aux lutteurs de foire dont on se moquait. Mais les philosophes des lumières ont prôné avec chaleur les exercices physiques, comme Jean-Jacques Rousseau dans l'Émile.

Voltaire dans ses Lettres anglaises (1727) décrit avec une admiration mêlée d'étonnement l'activité qui règne en Angleterre :

«Je vis des courses de jeunes gens, de jeunes filles et de chevaux sur les bords de la Tamise à Greenwich, et je me crus tansposé aux Jeux olympiques.»

Le corps retrouvé dans l'Encyclopédie des Lumières

Dans l'Encyclopédie des lumières, des planches décrivent le corps humain et les techniques médicales employées. (Le corps retrouvé dans l'Encyclopédie des Lumières)

Dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, des médecins ventent les exercices de gymnastiques pour leurs vertus.

  • Le médecin genevois Ballexserd publie en 1762 sa Dissertation sur l'éducation physique des enfan(t)s depuis leur naissance jusqu'à l'âge de leur puberté. Il semble que ce soit le première utilisation du terme éducation physique. Á côté d'exercices que l'on peut qualifier de gymnastique, Ballexserd préconise néanmoins des jeux, et, bien entendu, l'équitation et les armes.
  • Clément-Joseph Tissot publie Gymnastique médicale et chirurgicale (1780). Il recommande pour guérir l'utilisation des jeux, mail, paume, billard et autres.

Avec la Révolution des membres de la convention proposèrent des projets éducatifs valorisant l'activité sportive comme celui du député Daunon, dans son Plan d'éducation :

«Les jours de congé, les élèves seront conduits par leurs gouverneurs en différents atelers ou manufactures pour y considérer les procédés des arts. Il y aura plusieurs exercices physiques et militaires par semaine.»

Le serment du jeu de paume

Mais ces idées ne connaîtront pas à l'école de réels prolongements. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que la France concrétise ces idées et développe les sports importés d'Angleterre et d'Allemagne.

La société du Moyen Âge et de l'Ancien Régime s'est adonnée avec passion aux jeux, mais si les jeux de hasard n'ont cessé d'avoir du succès, les jeux sportifs ont «décliné» en France à partir du XVIIe siècle. Comment cette nouvelle façon de vivre les jeux s'est-elle implantée dans l'espace ? Quels sont les lieux des jeux ? Si la réponse est simple dans l'Antiquité, elle ne l'est pas pour la période qui s'étend du Xe siècle au XVIIIe siècle.


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