3   Évolution et finalités du sport contemporain

Au XIXe siècle, les jeux physiques passent «du rituel au record» (A. Guttmann, From Ritual to Record : the Nature of Modern Sport, New York, 1978). Un modèle d'organisation est mis en place, fondé sur la compétition réglée (championnats, records) et l'affiliation (sportifs «licenciés» constituant des clubs, fédérations nationales et internationales définissant et contrôlant les règles).

Ce modèle domine et continue à se développer parce qu'il s'élargit à l'échelle du monde et parce qu'il régit les compétitions les plus connues, comme les Jeux olympiques ou la Coupe du Monde de football.

Cette organisation du sport moderne et son fonctionnement ont donné une place fondamentale au sport dans notre société contemporaine. Les enjeux actuels du sport correspondent à ceux de notre société et en reflètent les qualités et les travers.

3.1   Le phénomène sportif aujourd'hui

3.1.1   les pratiquants du sport

Si le sport est devenu un phénomène mondial, la pratique régulière d'un sport ne concerne qu'environ 15 % de la population dans les pays industrialisés et les taux de pratique sont très inférieurs dans les pays non industrialisés.

La composition des pratiquants inclut une majorité de jeunes, d'hommes et des représentants des pratiques sociales les plus favorisées, quelle que soit la pratique considérée.

L'évolution de la pratique sportive évolue selon l'âge et l'activité professionnelle de chaque individu :

  • L'initiation est généralement faite à l'école : à l'échelle mondiale, le taux de scolarisation est lié à celui de la pratique sportive.
  • Ultérieurement, plus la scolarisation est avancée, plus la pratique sportive est intense : à âge égal, les étudiants sont plus sportifs que les actifs.
  • Après vingt ans, la pratique décroît, en liaison avec le mariage et la naissance des enfants. La décroissance est plus forte chez les femmes.
  • Á partir de trente ans, la pratique diminue régulièrement avec l'âge.
La pratique sportive a un rapport étroit avec la stratification sociale. Dans les pays industrialisés, les strates supérieures et moyennes fournissent proportionnellement plus de pratiquants et obtiennent de meilleurs résultats. De nombreuses enquêtes montrent aussi des affinités entre des groupes sociaux et des sports : sports populaires (football, cyclisme, boxe), sports des classes aisées (voile, tennis, golf). Ces affinités ne sont pas stables : en France, le golf et le tennis sont devenus abordables aux classes moyennes et aujourd'hui, il est plus chic de jouer au squash qu'au tennis.

Mais le taux de pratique augmente lentement dans la plupart des pays. La population féminine en particulier constitue une marge de progression permanente. (femmes et sport)


Femmes et sport

3.1.2   L'organisation de la pratique

Le club

De nombreuses institutions s'intéressent au sport : l'école, l'armée, les entreprises. Mais le modèle d'organisation le plus répandu reste le club, institution à vocation exclusivement sportive.

Les clubs sont généralement des associations indépendantes ou qui conservent leur autonomie au sein d'ensembles plus vastes, comme les universités aux États-Unis. La vie des clubs est organisée en fonction des compétitions : entraînement des joueurs, constitution des équipes,... La gestion générale est assurée par des dirigeants, généralement d'anciens joueurs, élus. Ils ont un rôle de représentants du club à l'extérieur (demande d'aide matérielle auprès des autorités locales).

Les clubs les plus solides ne sont pas toujours ceux dont les équipes sont les plus brillantes, mais ceux qui ont les bases sociales les plus stables. La stabilité peut résulter d'un fort enracinement local. Elle n'est pas toujours acquise dans les urbanisations nouvelles et peut aussi se dérober quant il y a dépopulation. L'accroissement de la mobilité quotidienne dans les modes de vie peut aussi affaiblir les clubs locaux. Ainsi, les clubs constitués en fonction de l'affinité sociale plus que de la proximité géographique résistent mieux : ainsi le Racing Club de France, fondé en 1882 à Paris, se porte bien parce qu'il est un des lieux de regroupement de la bourgeoisie parisienne.

L'équipement utilisé comme un service

Un second modèle d'organisation de la pratique repose sur un équipement utilisé comme un service : court de tennis, piscine, base de loisirs, salle de culture physique, stations de skis, plans d'eau. Le succès de ce modèle est considérable dans les pays industrialisés car il est adapté à diverses tendances dans les modes de vie de ces pays : délocalisation, désinstitutionnalisation.

Le sport en nature

Un troisième modèle d'organisation est institutionnalisé. Il ne requiert pas de lieux équipés : jogging urbain, moto verte, descente de rivière. Il n'est soumis qu'aux objectifs de compétition que les intéressés se fixent à eux-mêmes. Ce modèle est favorable à l'innovation et à l'invention de nouvelles pratiques sportives, qui peuvent ultérieurement être la base de compétitions organisées.

3.1.3   Le sport de haute compétition

Les grandes compétitions nationales et internationales sont les formes les mieux connues du sport contemporain :

  • les Jeux olympiques
  • la Coupe du Monde de football
  • le Tour de France cycliste
  • le tournoi de Wimbledon...

Ces compétitions sont suivies par des centaines de millions de spectateurs et de téléspectateurs. Elles sont contrôlées par les fédérations sportives et, ainsi, sont partie intégrante du modèle compétitif et réglé moderne, tout en y occupant une place particulière.

La haute compétition exige une spécialisation poussée et un entraînement intense, ce qui pose un certain nombre de problèmes :

  • la détection des individus les plus capables
  • la définition des modèles d'entraînements
  • le maintien de la motivation des athlètes au cours d'une préparation fastidieuse. En effet le niveau international n'est atteint que par les athlètes qui s'entraînent plusieurs heures tous les jours. Cette tension est partagée par l'entraîneur qui assiste l'athlète à tous les moments, ainsi que par plusieurs spécialistes (médecin, masseur, kinésithérapeute). Le choix des vêtements, des chaussures et des engins (ski, vélo, voiture) joue aussi un rôle important.

Le premier problème posé par la spécialisation intense est celui du professionnalisme. Il est né au XIXe siècle entre les classes dirigeantes, délivrées des préccupations matérielles et les athlètes désireux de participer aux compétitions en tant que professionnels. Ce problème ne s'est résolu que très lentement par la création de sections contrôlées et cloisonnées (football, cyclisme) puis par l'acceptation de compétitions de professionnels dans le golf, le tennis. Mais l'interdiction faite aux professionnels de participer aux Jeux olympiques subsiste.

Un second problème posé par la préparation des compétitions est celui des moyens artificiels d'accroître la capacité physique des sportifs.

Ces deux questions ont leur origine dans la dureté et la brièveté de la carrière des champions. La période des succès est courte, et un revers de forme peut tout remettre en cause. Les sportifs de haut niveau s'entraînent donc de plus en plus intensément, prennent de plus en plus de risques, sollicitant leur organisme par tous les moyens. Ils exigent donc des compétitions immédiates.

Selon Antoine Haumont, une issue possible de cette situation se présenterait à partir du moment où la société offrirait au champion ou à l'apprenti champion la perspective d'une véritable intégration. Mais cette perspective semble incertaine à l'échelle mondiale. (Antoine Haumont, article «la pratique du sport», Encyclopédie Universalis, vol. 21, pp. 516-519).

3.2   Les nouveaux enjeux du sport

Si la référence à l'Antiquité demeure, le sport s'est modifié s'adaptant à la conjoncture du moment et aux nouvelles attentes des sportifs et des amoureux du sport d'aujourd'hui.

3.2.1   Sport et manipulation

Á l'époque classique, le champion olympique se contentait d'une couronne d'olivier, d'un fruit et le vainqueur de la course de stade donnait son nom à l'Olympiade. Aujourd'hui on multiplie les critiques vis-à-vis de l'utilisation commerciale et politique des sports. Assiste-t-on à une décadence de l'idéal olympique ?

Cet idéal semble bien utopique au regard des débordements nationalistes du XXe siècle : Berlin en 1936, Munich et le massacre des Israéliens en 1972, Montréal en 1976, avec le retrait des Africains. En 1980, le mouvement olympique a même failli exploser. Les Jeux et leur idéal furent très sérieusement menacés à la suite du bycottage des Jeux olympiques de Moscou, décrété par les Américains, qui entendaient ainsi protester contre l'invasion soviétique de l'Afghanistan ; cette affaire divisa le monde occidental. Mais l'olympisme a provisoirement survécu, non seulement du fait des intérêts économiques en jeu, mais aussi au nom d'un idéal antique, d'une influence morale soutenue par des organisations internationales, telles que le Comité international olympique, porteur du message de Pierre de Coubertin.

L'utilisation du sport à des fins politiques n'est pas un phénomène récent. Il semble que la politique ait toujours été présente sur les stades et ce, depuis Olympie. Pourtant, l'Olympisme, en dépit de ses défauts si souvent exploités, correspond à la survivance d'une éthique face à la menace du pouvoir sous quelque forme qu'il soit : l'argent, la politique. Même si l'Olympisme n'a jamais arrêté une guerre au XXe siècle, des athlètes de nations en guerre acceptent toujours de se mesurer pacifiquement lors des Jeux quadriennaux. Et la cérémonie d'inauguration, qui réunit dans un même stade tous les représentants des nations participantes, la lecture des principes fondamentaux de la charte olympique sont de rares moments d'émotion et de partage. (Le stade, témoin de l'histoire)


Le stade, témoin de l'histoire

3.2.2   Sport, techniques et performances

Le sport à l'origine se pratiquait pratiquement nu, dans un environnement naturel, parfois hostile ! Mais, en s'institutionnalisant, le sport s'est codifié. Et il s'est identifié de plus en plus à une technique, au sens strict du mot : c'est-à-dire un ensemble complexe d'opérations rationnellement définies. Le sport est aujourd'hui une pratique savante avec :

  • un système théorique (code, règles) plus lourd de jour en jour
  • un appareillage instrumental d'exécution et de contrôle de plus en plus perfectionné

Cela est particulièrement manifeste dans le rôle croissant que le sport contemporain donne à la mesure de l'exploit sportif et donc à la performance. Chaque saison olympique voit ainsi apparaître, avec de nouveaux records :

  • de nouvelles techniques motrices : par exemple, la technique du «Fosbury Flop» en saut en hauteur en 1968.
  • un nouveau matériel plus adapté : des chaussures aux bicyclettes, en passant par les raquettes et les combinaisons aérodynamiques.
  • des instruments de mesure plus précis et plus fidèles.

En Grèce antique, le record n'existait pas : le champion d'une compétition olympique pouvait très bien avoir réalisé une course moins rapide que l'athlète vainqueur des Jeux olympiques précédents. Le champion était le vainqueur d'un moment. On comprend pourquoi les techniques sportives n'ont guère évolué. Le record est un élément caractéristique fondamental du sport moderne.

Michel Bernard, dans l'article «Le phénomène sportif» (Encyclopédie Universalis, vol. 21, pp. 511-515), explique ce rôle récent de la technique dans le sport. Selon lui, le schéma constitutif de la technique sportive (compétition-rendement-mesure-record) reproduirait le processus même du système de production capitaliste. Il rapproche la recherche du rendement maximal, de celle du record et la concurrence de la compétition entre athlètes. Cela expliquerait que le sport moderne soit né officiellement en Angleterre à l'aube de la révolution industrielle.

3.2.3   Sport, spectacle et médias

Quelle force a été capable de donner l'impulsion qui a précipité les foules autour du terrain, où elles étaient peu présentes dans les débuts du sport moderne ? Le spectacle et, ceci, pour plusieurs raisons :


La tauromachie : le plus ancien spectacle de l'arène
  • Le spectacle sportif est d'abord générateur de satisfactions esthétiques : les photographes d'aujourd'hui cherchent comme les sculpteurs grecs a reproduire la beauté du geste, l'effort, le mouvement harmonieux du corps. (la tauromachie : le plus ancien spectacle de l'arène)
  • Le spectacle sportif est toujours un drame. Le sport est essentiellement une lutte, individuelle ou collective, contre une difficulté ou contre un adversaire. «Au théâtre, émus par l'intrigue et pris par le jeu des acteurs, nous savons cependant que rien ne peut plus modifier le dénouement de la pièce. L'issue du combat qui se déroule sur le stade est imprévisible.» (Histoire des spectacles, La Pléiade, 1965)
  • Le spectateur par l'enjeu qu'il met accroît lui-même l'intensité du spectacle sportif : quelquefois en misant de l'argent, mais la plupart du temps, en choisissant à l'avance un favori, l'athlète ou l'équipe qui représente son club, sa ville, son pays... Ce choix a entraîné la formation de clubs de supporters dont le but est le soutien et l'encouragement, non d'un sport mais de la seule formation préférée.
  • Mais l'époque moderne a apporté un élément clé au spectacle sportif : sa médiatisation. La presse, qui a largement ouvert ses colonnes au spectacle sportif, puis la télévision, sait offrir au lecteur et au spectateur ce qui peut aiguiser sa curiosité, atténuer sa déconvenue ou exploiter sa satisfaction. Le reportage et lle direct vulgarisent les images et les gestes de l'effort sportif, mais aussi celles du cadre des manifestations : un stade garni de cent mille spectateurs, les pentes neigeuses descendues par les skieurs, les montagnes gravies par les cyclistes. Des techniques très perfectionnées permettent même de vivre l'épreuve du point de vue du sportif (micro-caméra posée dans une voiture de course...).


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